Si l’on reconnaît le génie de Victor Hugo écrivain, ce dernier peut également être considéré comme un remarquable dessinateur, au talent tout personnel. Auteur de près de quatre mille dessins, son œuvre graphique aurait suffi à le rendre célèbre, sans son immense gloire littéraire. Baudelaire célèbre à juste titre « cette magnifique imagination qui coule dans les dessins de Victor Hugo comme les mystères dans le ciel ».
Le goût de Victor Hugo pour le dessin apparaît dès ses études secondaires. Ce dernier multiplie, à partir de 1825, les petites caricatures pour ses proches et les dessins de voyage. Il correspond avec les graveurs Meryon et Bresdin et fréquente les ateliers de Louis Boulanger, David d’Angers, Célestin Nanteuil et ceux des frères Devéria. Entre 1833 et 1843, ses voyages en Normandie, en Bretagne, en Belgique, sur le Rhin et dans les Pyrénées permettent l’apparition des grands thèmes visionnaires : paysages romantiques sur les rives d’un fleuve baignées de ténèbres, tours en ruines et architectures improbables. Notre dessin évoquant une maison ou un village dans un paysage montagneux est certainement issu d’un de ces voyages. Hugo part d’une image mentale qu’il dessine d’un jet d’encre et transforme en vision ténébreuse. Ces transcriptions de paysages n’étaient généralement pas tracées sur le motif mais plutôt d’après ses souvenirs, ce qui renforce leur aspect irréel et fantastique.
Notre dessin est issu de la collection de Paul Meurice (1821–1905), poète et dramaturge qui rencontre Victor Hugo vers 1837 et qui devient, avec Auguste Vacquerie, son ami le plus intime. Pendant l’exil, Paul Meurice est l’homme de confiance et l’ambassadeur de Victor Hugo à Paris. Il est chargé de la publication de ses œuvres, des contrats, des relectures, des corrections et des programmations de pièces de théâtre tout en menant parallèlement sa propre carrière. Victor Hugo s’installe chez Paul Meurice à son retour à Paris et passe plusieurs étés dans sa maison de Veules-les-Roses. L’écrivain l’institue exécuteur testamentaire de son œuvre littéraire, et Meurice entreprend la publication des inédits et de l’édition de l’Imprimerie Nationale. Cette profonde amitié est marquée par de nombreux témoignages de reconnaissance de la part de Victor Hugo qui lui dédicace des ouvrages et qui lui envoie fréquemment des œuvres pour le Nouvel An ou à l’occasion d’une visite. Du vivant même du poète, Paul Meurice possède ainsi la plus importante collection de dessins de Victor Hugo, en nombre et en qualité. Il s’en dessaisit largement en 1903 au profit du musée de la place des Vosges dont il conçoit les principes.