En 1851, à la suite du coup d’État de Louis Napoléon Bonaparte, l’engagement politique de Victor Hugo, chef de file de l’école romantique, le contraint à quitter la France. Cet exil forcé s’avère être une période littéraire féconde. Après un séjour à Bruxelles, c’est à Jersey qu’il compose les Châtiments, un recueil de poèmes contestant la légitimité de Napoléon III. Expulsé de Jersey, il s’installe à Guernesey en 1855 où il rédige les Contemplations et reprend l’écriture des Misérables. Ces années insulaires coïncident avec la transposition du lyrisme dans l’œuvre dessiné de Victor Hugo. L’univers pictural de l’artiste, enfermé dans l’espace des îles anglo-normandes, s’enrichit du spectacle de l’océan. La réclusion renforce la fascination du poète, attiré par la mer depuis ses premiers voyages, pour le mouvement des vagues, les tempêtes, les naufrages, et la rudesse de la vie des gens de la mer.
Dans ses métaphores marines tracées au jet d’encre, Hugo transforme un paysage réel en vision ténébreuse. Ces dessins n’étaient généralement pas tracés sur le motif mais plutôt d’après ses souvenirs, ce qui renforce leur aspect irréel et fantastique. Dans le nôtre, on distingue le relief d’une ville au loin, la voile d’un bateau, et la mer, omniprésente. C’est l’immensité du paysage et l’obscurité du ciel qui véritablement dominent, traduisant la vision poétique de Victor Hugo. Notre dessin est l’une des rares feuilles de l’artiste à l’encre colorée, plus précisément au bleu de Prusse. Quelques feuilles de 1855 – 1856 présentent ces nuances bleutées mystérieuses, notamment des représentations de créatures fantastiques, hydres ou dragons.
Comme l’indique la signature, occupant tout le premier plan de la feuille : « Guernesey, Victor Hugo, 1856 », notre dessin a été réalisé dans les premiers temps du séjour guernesiais (1855 – 1870). Au cours de ces années, l’écriture s’invite dans l’œuvre graphique de l’artiste, jusqu’à devenir parfois l’élément principal de la composition. Ces dessins, où le nom du poète s’impose en grosses lettres, sont à rapprocher des cartes de visite qu’il envoie tous les ans à ses proches. Dans l’univers hugolien, le verbe se confond avec l’image. À travers ces signatures, Hugo se rappelle au monde.