« Un visage, ça surgit du néant. Et à quoi ça ressemble le néant ? À un fond de toile peint en noir. Ronan Barrot fixe le visage au moment de son jaillissement, à l’instant où le voici surpris dans la lumière. Ainsi, dans les portraits, je vois, sous de terribles coups de pinceau, des visages rayés, barrés, et pourtant, loin de me cacher ces visages, les coups de pinceaux qui les recouvrent comme des soies, comme des bandages, loin de me les dissimuler, me révèlent quelque chose, les contours d’une inquiétude, une angoisse qui se propage, et me font ainsi entrevoir, de chaque être, une intimité approfondie, dense, charnelle.
C’est pourquoi ces portraits me touchent, ils me parlent une langue étrange, que je crois reconnaître, mais que je ne comprends pas tout à fait, une sorte de langage intérieur, à la fois intime et inarticulé, signifiant et énigmatique. On les croirait peints avec des mains que l’on aurait à l’intérieur du corps, comme si Barrot nous ramenait une trace du visage depuis son obscurité profonde, celle de nos souvenirs, de nos désirs, de notre incertitude fondatrice. Car nous nous sommes sans doute choisis, au-dedans de nous, avant la conscience, chaque pas fut une maladresse, un hasard et une décision, et c’est ce nœud qu’il faut peindre, ce mystère qu’il faut approcher dans le portrait ; qui m’a choisi ? qui m’a fait ainsi ? qui m’a jeté, tellement désemparé, dans ma propre conscience ?
L’autoportrait est un vertige figé. Quelqu’un se regarde, tente de se regarder, de se voir ou de se revoir, de méduser son visage, de montrer ce qui, de lui-même, ne se voit pas, ce qu’il ne sait pas ; et entre l’amour de soi et le doute, entre le désir de se montrer aux autres à la lumière de nos petits fantasmes et la honte de soi, Ronan Barrot peint ; il peint cet intervalle, cette oscillation, il peint l’instant originaire, et perpétuellement reconduit, où il nous faudra enfin décider ce que nous sommes, et il en poursuit la brûlure sur nos visages, qu’il cherche à faire sortir de leur obscurité.. »
Éric Vuillard, La décision du visage, 11 novembre 2023
Ronan Barrot, né dans le Vaucluse, est un artiste peintre français, diplômé des Beaux-Arts en 1998.
La Galerie Claude Bernard le représente et lui consacre de nombreuses expositions personnelles et collectives depuis 2007. En 2017, il expose au Festival d'Avignon dont il peint l'affiche. Ses œuvres sont conservées au musée d'Art Moderne de la ville de Paris, à la Fondation Maeght, au musée d'Art Moderne et Contemporain de Strasbourg, ainsi qu'au FRAC Île-de-France et au FRAC Auvergne.