Né à Berlin en 1922, Lucian Freud est le petit-fils du célèbre psychanalyste Sigmund Freud. En 1933, il fuit l’Allemagne et emménage avec sa famille en Angleterre. Après des études d’art, Freud commence à exposer ses œuvres dans les années 1940, et organise sa première exposition personnelle à la Lefevre Gallery à Londres en 1944. Cette année-là, il rencontre le peintre Francis Bacon avec qui il se lie d’amitié. Viendront ensuite Franck Auerbach, Léon Kossof et Michael Andrews avec qui il forme la « London School ». Au début des années 1950, Freud pose les bases de son art précis et expressionniste, concentré sur la représentation de la figure humaine et de sa chair, avec un sens aigu de la psychologie. Si les œuvres des premières années de sa carrière reposent sur une parfaite maîtrise du dessin, au début des années 1960, il décide d’arrêter de dessiner : « L’idée de peindre des tableaux dans lesquels vous êtes conscients du dessin et non de la peinture m’irritait au plus haut point ». Après s’être exclusivement consacré à la peinture pendant les quinze années suivantes et avoir engendré un renouveau du réalisme expressionniste à la suite de Rembrandt ou Courbet, Freud revient au dessin, au milieu des années 1970, une fois sa peinture pleinement maîtrisée.
À partir de 1975, date de réalisation de notre feuille, la pratique du dessin au crayon ou au fusain reprend progressivement et devient de plus en plus importante dans son œuvre. Sa technique se caractérise alors par de longues lignes répétées ou doublées et des réseaux de hachures fines pour déterminer le rythme des formes et volumes perceptibles dans notre feuille. Ces dessins posent les bases du style et de la technique que Freud adoptera en gravure au début des années 1980. Finalement, les toiles tardives du peintre mêleront dessin préparatoire au crayon et définition des volumes à l’huile.
Comme les traces de spirales l’indiquent, notre feuille est extraite d’un carnet à dessins. L’artiste a certainement extrait la feuille afin de dessiner le carnet dont elle a été prélevée : traînant, comme souvent, dans un coin d’atelier ou sur le bord d’une fenêtre. Tout au long de sa carrière, Freud eut recours à ces carnets à dessins pour saisir les objets, les visages ou les instants qui l’entouraient. Non datés et généralement non signés, les dessins de carnets n’étaient pas voués à être exposés. Certaines feuilles étaient pourtant parfois prélevées pour être offertes ou vendues.
Les tableaux de l’artiste ou les photos le représentant montrent souvent en arrière-plan, des toiles retournées, des livres ou des carnets à dessins éparpillés dans l’atelier. La composition de notre dessin immortalise l’un des coins intimes de l’atelier.