Après un passage aux Beaux-Arts de Bruges, Léon Spilliaert décide de quitter l’Académie et commence une carrière artistique en autodidacte. En 1902, il se présente chez l’éditeur Edmond Deman à qui il propose ses services d’illustrateur. Ce dernier devient son mécène et lui présente l’avant-garde belge : les peintres Théo Van Rysselberghe et Georges Lemmen, ainsi que les auteurs Émile Verhaeren et Maurice Maeterlinck. Il y observe aussi les œuvres d’artistes employés par l’éditeur : Odilon Redon, Félicien Rops, Fernand Khnopff. Ce terreau intellectuel est déterminant pour l’artiste qui se passionne pour la littérature symboliste.
Dès ses premières illustrations, Spilliaert développe un style singulier, ne se rattachant à aucun courant plastique malgré son inclination pour le symbolisme. Anxieux, taciturne, introverti, l’artiste développe une esthétique de la solitude et du vide à travers des dessins au crayon, au pastel, mais surtout à l’encre de chine, son médium de prédilection. À l’encre, il trace des œuvres noires et contrastées pour illustrer plusieurs ouvrages de Verhaeren et, en 1903, le Théâtre de Maeterlinck. Entre 1901 et 1902, Deman édite une version de luxe du Théâtre de Maeterlinck en trois volumes illustrés par le peintre Auguste Donnay. Deman conserve alors pour sa collection personnelle le 110e et dernier tirage du recueil. En 1903, il demande à Spilliaert de tracer des illustrations complémentaires pour les trois volumes. L’exemplaire illustré par Spilliaert est un premier manifeste de l’univers personnel de l’artiste, peuplé de figures fantomatiques, nimbé de paysages nocturnes et d’intérieurs vides, résonnant avec l’atmosphère sombre et onirique de Maeterlinck.
Notre dessin représente La Princesse Maleine, la première pièce publiée par Maeterlinck (1889) et la première reproduite dans le recueil édité par Deman. Lors de la sortie de la pièce, Maeterlinck révolutionne le drame classique, comme l’écrit Paul Gorceix spécialiste du dramaturge : « La Princesse Maleine bouleverse de fond en comble la convention théâtrale : argument insignifiant, absence d’action, inconsistance des personnages qui évoluent dans un univers onirique, hors du temps et de la géographie quotidienne, dialogue réduit à l’extrême de l’antithéâtre avant la lettre »1. La pièce en cinq actes se déroule dans les Flandres, au château du roi Marcellus où une fête célèbre les fiançailles de sa fille, la princesse Maleine avec le prince Hjalmar, fils du roi de Hollande. Une tempête et d’obscurs présages entraînent la discorde et la rupture des fiançailles par les rois qui entrent en guerre. Après une longue errance, la princesse Maleine est enfermée dans une tour par les parents de son fiancé. Elle y reste jusqu’à sa mort tragique à la fin de l’intrigue. Spilliaert a représenté à deux reprises dans le recueil, la princesse souffrante et alitée. Les dessins du recueil sont, comme le nôtre, souvent horizontaux. Notre dessin, dont l’iconographie et la composition présentent des affinités formelles avec celles du recueil, est vraisemblablement une étude pour l’une des vignettes et à n’en pas douter une feuille contemporaine aux dessins commandés par Deman.