Eugène Carrière grandit à Strasbourg où il reçoit une formation de lithographe. Contre l’avis de son père, il s’inscrit à l’École des beaux-arts de Paris où il entre dans l’atelier d’Alexandre Cabanel. À partir de 1876, il expose au Salon des portraits intimistes, inspirés des maîtres hollandais. Dès le milieu des années 1880, Carrière manifeste son originalité et met au point le style si particulier qui fera sa renommée - les monochromes de terre et d' ocre aux formes estompées. Il en formule le vocabulaire artistique : des couleurs épurées, une économie de détails, une stylisation de la déformation favorisant les jeux d’ombres et de lumières. S’il n’a pas de successeur direct, ses élèves, les futurs fauves Henri Matisse et André Derain, s’inspirent de cette liberté créatrice. Ses monochromes inspirent également la période bleue de Pablo Picasso.
Au début des années 1890, Carrière adapte la technique de la lithographie à la peinture, ce qui lui permet d’essuyer le motif ou de le retravailler au grattoir. Ce parti pris esthétique, motivé par le rejet d'une couleur réaliste et mimétique, est incompris par une grande partie de la critique mais salué par de nombreux artistes contemporains, tels que Paul Gauguin ou Maurice Denis. « On dira un jour les Maternités de Carrière comme on dit les Pietà de Michel-Ange », déclarait Albert Besnard.
Apprécié de collectionneurs comme Étienne Moreau-Nélaton, Carrière est introduit auprès de personnalités des mondes littéraire, artistique et politique qu’il immortalise dans de pénétrants portraits : Paul Verlaine, Paul Gauguin, Alphonse Daudet, Georges Clemenceau, Auguste Rodin et Anatole France. Carrière se lie ainsi d’amitié avec Louise Aline Dorian, femme de lettres réputée pour son Salon auquel participent de nombreuses personnalités, et épouse de Paul François Ménard, député radical d’extrême gauche. Notre tableau est une esquisse pour un portrait représentant leur fille Pauline Ménard-Dorian, exposé au Salon de 1893 et conservé aujourd’hui au musée du Petit Palais (ill. 1). Pauline Ménard-Dorian tenait l’un des Salons les plus prisés de Paris. Outre Carrière, elle y accueillit notamment Marcel Proust, Émile Zola, Érik Satie et Edmond de Goncourt. Pauline Ménard-Dorian se maria en 1894 avec le peintre Georges Victor-Hugo. Son fils est le peintre Jean Hugo. Elle épousera en secondes noces, le peintre et dessinateur Hermann Paul.