Fils d’une tisserande et d’un menuisier-ébéniste montalbanais, Émile-Antoine Bourdelle manifeste dès son plus jeune âge un vif talent pour le dessin, qu’il cultive en travaillant comme apprenti dans la boutique de son père avant de s’inscrire aux cours du soir de l’École de dessin de Montauban. Particulièrement doué pour la sculpture, il poursuit sa formation à l’École des beaux-arts de Toulouse, puis à l’École des beaux-arts de Paris en 1884. Dans la capitale, l’artiste se forme dans l’atelier du célèbre sculpteur toulousain Alexandre Falguière, qu’il ne tarde pas à abandonner, préférant prendre des libertés vis-à-vis de l’approche académique de son maître. En 1893, Bourdelle entre dans l’atelier d’Auguste Rodin, dont il devient l’assistant et l’ami. Cependant, son exposition individuelle à Paris en 1905 et sa participation au Salon d’Automne cette même année, l’encouragent à trouver sa propre voie. En 1908, Bourdelle quitte définitivement l’atelier, pour devenir professeur à l’institut Rodin à partir de 1909. L’artiste montalbanais compte parmi ses élèves Alberto Giacometti, Germaine Richier et Otto Gutfreund. Après une décennie de grandes commandes internationales qui lui permettent de prouver la diversité de son travail comme sculpteur, architecte et peintre, Bourdelle s’éteint en 1929.
Notre dessin est le portrait d’Auguste Quercy (1853-1899), le meilleur ami de jeunesse de Bourdelle.
Originaire de Montauban, Quercy est un poète félibre qui s’affirme comme précurseur de l’œuvre des occitanistes du 20e siècle. Outre notre feuille, trois autres dessins de Bourdelle, récemment entrés au musée éponyme à Paris, représentent le même modèle. Plus imposantes en taille, mais très proches graphiquement, dans l’attitude et la physionomie de Quercy, ces trois feuilles sont contemporaines de la nôtre. L’ensemble des dessins a très probablement été réalisé au cours de la même séance de pose, et prépare une eau-forte réalisée en 1884, montrant Le Poète Quercy (ill. 1) un livre à la main. Bourdelle sculpte également le buste de son ami l’année suivante.
Techniquement, notre portrait est emblématique des œuvres graphiques de la jeunesse de Bourdelle, qui cherche dans les traits à la fois durs et onctueux du fusain, le volume puissant qui caractérise ses sculptures. L’artiste représente, ici, son ami dans une pose rigide et charpentée évoquant celle d’une sculpture classique. La sculpturalité de la pose est accentuée par la monochromie de la feuille. L’intensité du sfumato et des hachures croisées noires qui définit les plis de la tenue ainsi que la barbe fournie du poète évoquent les dessins de jeunesse de Rodin. Enfin, l’attitude bienveillante et accueillante du modèle révèle l’admiration et l’intimité qui lient Bourdelle à son ami.