Après de brèves études de droit, Edgar Degas est reçu en 1855 à l’École nationale supérieure des beaux-arts de Paris, mais il fréquente plus volontiers l’atelier privé d’un élève d’Ingres, Louis Lamothe, qui le présente au maître. Entre 1856 et 1859, le jeune élève séjourne plusieurs fois en Italie, copiant les maîtres de la Renaissance dans les musées de Naples, de Florence et de Rome où il se lie d’amitié avec son aîné Gustave Moreau.
À son retour d’Italie, ce fervent admirateur d’Ingres et de Delacroix, nourri de la leçon des maîtres anciens, s’essaie d’abord brièvement à la peinture d’Histoire qu’il cherche à ranimer. Il trouve finalement sa propre voie en transcendant la réalité contemporaine par la liberté de l’expression et la place fondamentale accordée à la lumière.
La transition effectuée par Degas vers la modernité, après ses premières années académiques et réalistes, s’amorce vers 1865, lorsqu’il délaisse définitivement la peinture d’Histoire et commence à s’intéresser à la représentation de sujets contemporains. Les courses hippiques ainsi que les sujets liés à la musique font leur apparition dans la seconde moitié des années 1860.
Les danseuses qui feront sa gloire apparaissent quant à elles, pour la première fois en 1870 dans L’Orchestre de l’Opéra (ill.1) où le prétexte d’un portrait de son ami musicien Désiré Dihau est l’occasion de peindre des danseuses au fond de la scène. Degas n’aura alors de cesse de chercher à saisir l’expression et le mouvement des danseuses, mettant l’accent sur les torsions du corps et les déformations du visage résultant de la souffrance et de l’épuisement.
Notre feuille est une étude préparatoire à la Répétition d’un ballet sur la Scène, troisième version d’une composition imaginée par Degas en 1874. La première version est une peinture en grisaille exposée en 1874 lors de la première exposition impressionniste qui fait aujourd’hui partie des collections du musée d’Orsay (ill.2). Les deux autres interprétations sont une peinture à l’essence (ill.3) et un pastel (ill.4) conservés au Metropolitan Museum à New-York. La critique historique a démontré que le tableau d’Orsay est le plus ancien, les deux œuvres du Metropolitan étant des variations postérieures, exécutées la même année. Notre dessin met en lumière les recherches de l’artiste pour modifier sa composition. Dans la peinture à l’essence du Metropolitan, la danseuse a les deux bras autour de la nuque comme au recto de notre dessin ; mais dans le pastel, elle n’a plus qu’un bras comme dans l’esquisse au verso et celle en travers du recto. Ainsi, notre feuille, qui montre les recherches de Degas pour passer d’une composition à l’autre, prépare le pastel. Exposée à Paris en 1879, l’œuvre finale est admirée par Gauguin qui tenta en vain de l’acheter.
Techniquement, notre dessin permet également d’observer l’évolution du style graphique de l’artiste. D’une part, l’utilisation de la mine de plomb, la perfection du dessin et la justesse des contours rappellent les premières années de sa carrière. D’autre part, l’expression du visage et le mouvement du corps annoncent les années impressionnistes. Des hachures ondulantes apparaissent aussi dans notre dessin. Elles seront par la suite systématiquement employées par l’artiste dans ses pastels ou fusains. Degas fut un dessinateur très prolifique qui accorda une grande importance à l’élaboration de ses compositions en multipliant les études sur papier. Son œuvre graphique reflète ainsi l’étendue et la richesse de son évolution artistique où la précision absolue du trait laisse petit à petit place à une définition de plus en plus relâchée et vibrante des formes.