Artiste singulier, dérangeant et dérangé, Alfred Kubin dessine des feuilles sombres et fantastiques influencées par ses propres expériences traumatiques – son enfance est marquée par le décès de sa mère, plusieurs dépressions et une tentative de suicide –, par la culture populaire autrichienne ainsi que par la lecture de Friedrich Nietzsche, Arthur Shopenhauer et Sigmund Freud. Il livre un univers cauchemardesque, intense et angoissé, peuplé de monstres, démons et bêtes mythiques - expressions pulsionnelles de la psyché humaine. Profondément contemporain, son œuvre sonde la condition humaine.
« Le monde m'apparaît comme un labyrinthe. Je veux y trouver mon chemin et c'est en dessinateur que je dois le faire »1. Installé à Munich en 1898, Kubin abandonne assez rapidement ses études d’art. C’est la découverte des visions occultes de Max Klinger, en particulier ses gravures teintées de symbolisme et de romantisme, qui l’incite à se consacrer au dessin. Ses feuilles noires des premières années du 20e siècle, à la technique sophistiquée, comptent parmi les plus abouties et les plus inventives de son œuvre. Notre dessin à la plume et à l’aquarelle, réalisé vers 1904-1907, appartient à cette période.
Kubin l'inclut vingt ans plus tard dans son autobiographie : Dämonen und Nachtgesichte (Démons et visions nocturnes), aux côtés d’une trentaine de ses chefs-d'œuvre. Titrée au crayon « Kopf mit abgeschnittener nase » (Tête au nez coupé), la composition - une tête flottante, mutilée, aux allures de squelette ou de spectre - témoigne de l’individualité iconographique de Kubin.
Tête au nez coupé est vraisemblablement inspiré de la nouvelle satirique et fantastique Le Nez de Nicolas Gogol, parue en 1836 : un homme, Kovalev, découvre en se regardant dans un miroir que son nez a disparu. La description d’un instant d’horreur et de peur est emblématique de l’art de Kubin. Des années plus tard, en 1949, Kubin illustre une autre nouvelle de Gogol : Le Manteau.