Ambroise Duchemin
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Paula Modersohn-Becker

1876–1907

Portrait de vieille femme au voile noir

Vers 1904
Huile sur papier marouflé sur toile
39 x 37,5 cm
Provenance :
Collection Herma Weinberg (sœur de l’artiste), née Becker, Berlin, vers 1908 - 1963
Collection Eva Weinberg, transmis par descendance, 1963 - 1987
Ahlers collection, Hanovre, acquis de ce dernier en 1987
Galerie Wolfgang Werner, Berlin, 2001
Collection particulière
Expositions :
Hanovre, Kestner-Gesellschaft, X. Sonderausstellung, Paula Modersohn, Gemälde, Zeichnungen, Radierungen, 1917
Dresde, Brülsche Terrasse, Dresdner Kunst-genossenschaft, 1919, n°136
Berlin, Kronprinzenpalais, (...), Paula Modersohn-Becker, Gemälde, Pastelle, Zeichnungen, 1922
Emden, Kunsthalle in Emden, Paula Modersohn-Becker, Mensch und Landschaft, 8 février - 29 mars 1987, n°67
Bonn, Rheinisches Landesmuseum, Von der Idee zum Werk, 24 janvier - 10 mars 1991, n°2
Bielefeld, Kunsthalle, O Mensch ! Das Bildnis des Expressionismus, 29 novembre 1992 - 14 février 1993, n°128
Berlin, Kathe Kollwitz Museum, (…), Expressionistische Bilder, Sammlung der Firmengruppe Ahlers, 1993 - 1999, n°33
Munich, Lenbachhaus, Paula Modersohn-Becker, 1876 - 1907 Retrospektive, 16 juillet - 19 octobre 1997
Kunsthalle, Krems, (...), Paula Modersohn-Becker, Pionierin der Moderne, 14 mars - 4 juillet 2010, n°137
Humlebæk, Louisiana Museum of Modern Art, Paula Modersohn-Becker, 5 décembre 2014 - 6 avril 2015, n°47
Paris, musée d’Art Moderne de la Ville de Paris, Paula Modersohn-Becker. L'intensité d'un regard, 8 avril - 21 août 2016, n°25
Hamburg, Bucerius Kunst Forum, Paula Modersohn-Becker, Der Weg in die Moderne, 4 février - 1er mai 2017, n° 12

« Je suis moi, et j’espère le devenir de plus en plus » (Paula Modersohn-Becker, 1906).

Paula Becker bénéficie d’une enfance privilégiée au sein de la bourgeoisie dresdoise. À l’adolescence, lorsque sa famille s’installe à Brême, elle est autorisée à prendre des leçons de peinture, à condition qu’elle termine sa formation d’institutrice. Elle part ensuite à Berlin pour suivre les cours de l’Association des femmes artistes et des amies de l’art berlinoise - les Académies nationales d’art allemandes n’étant pas encore accessibles aux femmes.

En 1898, elle s’installe à Worpswede où s’est établie une colonie d’artistes formée autour d’anciens élèves de l’Académie des beaux-arts de Düsseldorf revendiquant une indépendance vis-à-vis des instances académiques. À l’image de l’école de Barbizon cinquante ans auparavant, ses membres accordent une place prépondérante à la nature et (dé)peignent le monde rural. Paula Becker s’y lie avec l’écrivain Rainer Maria Rilke et rencontre le peintre Otto Modersohn qui deviendra son époux. Mais la vie recluse de la communauté ne convient pas à la jeune artiste, qui décide de se rendre à Paris.

Elle arrive pour la première fois dans la capitale française le 31 décembre 1899. Séduite par l’effervescence et la liberté artistiques de la ville, elle étudie à l’Académie Colarossi et à l’Académie Julian - écoles de peintures ouvertes aux femmes.
La découverte de ses contemporains est un choc, en particulier les toiles de Paul Cézanne et les dessins d’Auguste Rodin. Elle côtoie les nabis Pierre Bonnard, Maurice Denis et Édouard Vuillard dont les méthodes - simplification des formes et superposition des plans - la marquent. Le primitivisme de Paul Gauguin surtout - abstraction des corps, refus de l’anecdotique et individualisation des figures - est une révélation.

De 1900 à 1907, date de sa mort, Modersohn-Becker multiplie les allers et retours entre Paris et Worpswede. Dans la capitale française, elle trouve l’inspiration et son travail témoigne de l’admiration que Modersohn-Becker porte à certains de ses homologues. Elle apprécie particulièrement l’oeuvre de Charles Cottet, peintre de la « Bande noire » qui, dans sa filiation avec Courbet et Manet, revisite le réalisme. Ses tableaux, peuplés de bretonnes sur un fond neutre aux larges aplats de matière, tels que son triptyque Au Pays de la Mer ou Bretonnes en deuil (ill. 1), ont vraisemblablement influencé le traitement de notre portrait. Les affinités formelles - dans la composition, le costume et l’attitude - de Bretonnes en deuil avec notre tableau sont la manifestation plastique la plus directe de la relation de Cottet et Modersohn-Becker.
Dans la campagne allemande, elle trouve ses sujets de prédilection - les femmes : habitantes du village, jeunes enfants, mères, grand-mères. Trois toiles représentent la worspswedienne de notre tableau - en pied, en buste et ce portrait serré. Ici, la peintre abandonne le décor et l’artifice pour se concentrer sur l’expression, l’intensité du regard et la peau modelée par le temps.

« Elle manque d’à peu près tout ce qui gagne le cœur et flatte le coup d'œil. Mais c’est justement lorsqu’il est confronté à de tels phénomènes que le critique d’art sérieux a le devoir d’en souligner la qualité » (Gustav Pauli, Bremer Nachrichten, 1906). Car, si Modersohn-Becker privilégie des sujets traditionnels et intimistes, profondément ancrés dans son quotidien, sa technique, puissante et résolument moderne, annoncent les -ismes du siècle à venir.
À l’aube du 20e siècle, les avant-gardes s’ouvrent à d’autres cultures visuelles qui offrent une alternative à l’art occidental, par leur qualités formelles et poétiques.
De par sa proximité avec les nabis, Modersohn-Becker s’intéresse au cloisonnement des estampes japonaises. De par ses pérégrinations au Louvre, elle trouve de nouvelles références individuelles dans les portraits funéraires du Fayoum. « Il me revient que ma sœur, dans ses dernières années, avait décoré sa minuscule salle à manger, à hauteur d’yeux, d’une frise de portraits funéraires égyptiens » (Herma Weinberg à Günter Busch, 1961).
Ces peintures de l’Egypte romaine (Ier - IVe siècle ap. J.-C.) qui délaissent tout élément narratif - les visages sont représentés en plans serrés, sans artifices, sur un fond neutre pour intensifier les traits des modèles, en particulier la puissance de leurs regards (ill. 2) - influencent les compositions de Modersohn-Becker. Réalisées sur bois à l’encaustique, leur surface dense et pâteuse encourage l’artiste à peindre à la détrempe.
Modersohn-Becker conçoit alors ses portraits singuliers, caractérisés par leur sobriété - un cadrage serré, frontal, sans décor ni éléments discursifs - et portés par une peinture à empâtement - épaisse, appliquée en touches rapides. Peint vers 1904, notre Vieille femme au voile est emblématique de son style : « front, yeux, bouche, nez, joues, menton, c’est tout. Cela paraît si simple, et pourtant c’est énorme » (Paula Modershon-Becker, 1903).
Elle se distingue par son expressivité : l’épure des tonalités et de la composition attestent l’extrême sensibilité du sujet et de son peintre - témoignant de la capacité de Modersohn-Becker à saisir l’essence même de ses modèles.

Associée au mouvement expressionniste, Modersohn-Becker demeure une artiste inclassable. Arrivant après les artistes allemands marqués par l’impressionnisme - Max Liebermann, Lovis Corinth -, elle s’éteint quelques années avant l’avènement des mouvements modernistes « Die Brücke » (1909) et « Der Blaue Reiter » (1911). Ni impressionnistes, ni réalistes, ni nabis, ni fauves, plusieurs de ses peintures jugées trop avant-gardistes seront présentées dans l’exposition d'art dégénéré organisée par les nazis en 1937.
En une dizaine d’années, Modersohn-Becker bouleverse toutes les normes, picturales et sociétales. Elle fait profession d’artiste et perturbe les codes de la féminité de son époque. Ses figures, presque exclusivement féminines, refusent l’idéalisation et l’érotisation des corps pour célébrer les visages, miroirs de l’âme.





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ill. 2
Égypte romaine
Vers 120–150
Portrait de femme

Peinture à la cire d’encaustique sur bois
Francfort, Liebieghaus
ill. 3
Herma Weinberg assise dans son intérieur
Photographie d’époque
Collection particulière