Ambroise Duchemin
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Paul Gauguin

1848–1903

Études de frontispices, pour Le Sourire

Vers 1899
Plaque en ardoise gravée
34 x 23,6 cm
Provenance :
Probablement vente après décès des biens de l'artiste, Tahiti, mai et septembre 1903
Collection particulière

Artiste prolifique et protéiforme, Paul Gauguin s’est adonné aux pratiques plastiques les plus diverses : peinture, dessin, gravure mais aussi céramique et sculpture1. De retour à Tahiti en 1895, il mène une existence difficile tout en essayant de poursuivre son œuvre. Durant les années 1898 et 1899, Gauguin traverse une crise profonde et se trouve dans l’incapacité de peindre. Pau’ura, sa compagne de l’époque, vient pourtant d’accoucher d’un petit garçon prénommé Émile. Malgré cette naissance, l’artiste est grandement troublé et éprouve de sérieuses difficultés dans sa pratique picturale. À partir du 12 juin 1899, Gauguin prend sa plume et rédige des articles qui paraissent dans le journal satirique Les Guêpes, édité à Papeete. Polémiste affirmé et adepte d’une langue mordante, le peintre lance dans la foulée sa propre publication, Le Sourire2. Constitué d’une feuille de quatre pages3, ce journal est un projet important pour l’artiste qui en est l’auteur, le rédacteur en chef mais aussi l’imprimeur. Il se charge également lui-même de la création des illustrations qui viennent orner cette publication. Dans une lettre datée de décembre 1899, Gauguin mentionne à Daniel de Monfreid son périodique dans les termes suivants : « J'ai créé un journal Le Sourire autographié, système Edison, qui fait fureur. Malheureusement, on se le repasse, de main en main, et je n'en vends que très peu4 ».

Réalisée par Gauguin vers 1899, cette ardoise gravée, unique dans le corpus des supports de l’œuvre gravée, est un témoignage inédit de ses pratiques artistiques, mais aussi de ses nombreuses recherches formelles pour Le Sourire (ill. 1). Une observation attentive et approfondie de cette œuvre permet de suivre le travail de sa main s’exerçant farouchement à graver la pierre. Sur ce support minéral, l’artiste représente, dans le registre supérieur, un étrange canidé qui revient dans nombre de ses réalisations dont un dessin-empreinte d’après D’où venons-nous ? Que sommes-nous ? Où allons-nous ? (ill. 2). Cet animal a été l’objet de multiples interprétations, Richard Field proposant notamment d’y voir une forme d’autoportrait de l’artiste5. Dans la partie inférieure droite de la composition, figure un daim couché, fidèle compagnon de Bouddha. Sur cette pierre, Gauguin grave également huit tahitiennes dans diverses positions, groupées autour d’une sorte de Bouddha sous une ombrelle. Celles-ci évoquent immanquablement d’autres réalisations de l’artiste (ill. 3) et témoignent en outre de ses multiples influences visuelles. Gauguin s’inspire entre autres des bas-reliefs du temple de Borobudur (ill. 4) dont il possédait des illustrations qu’il avait lui-même rapportées de la métropole6. Il crée donc sa propre mythologie en mélangeant diverses sources issues des cultures visuelles occidentales, tahitiennes mais aussi javanaises7.

Le nu féminin assis vu de dos, dit parfois Marchande de mangues figurant au centre du bandeau supérieur, projet de frontispice pour Le Sourire, est connu par un tirage unique sur papier figurant dans le recueil des neuf numéros du Sourire offert par Gauguin en 1901 à son ami, le peintre George-Daniel de Monfreid.
La Marchande de mangues figure également sur le tableau D’où venons-nous ? Que sommes-nous ? Où allons-nous ? Il s’agit de la seule composition visible sur l’ardoise à avoir été tirée indépendamment.

Cette plaque d’essai constituée de deux registres distincts est une agrégation de plusieurs compositions de Gauguin, préparatoire aux illustrations publiées dans Le Sourire. Sur cet espace minéral, Gauguin s’exerce à composer tout en s’aguerrissant simultanément à la pratique de la gravure. Cette œuvre permet de saisir les mouvements de sa main au travail mais également de comprendre la manière dont cet alchimiste des arts accomplit son processus créatif.

Un examen attentif du recto de l’ardoise révèle que Gauguin a gravé deux fois sa signature à l’envers, ce qui est logique s’agissant d’une plaque destinée à l’impression, mais également une fois à l’endroit.
Au verso, dans l’angle supérieur droit, est gravée un petit visage de tahitienne de profil, sorte de masque aux traits réduits à l’essentiel, l’orbite vide, traité vigoureusement par facettes hachurées, d’une modernité radicale faisant le lien entre les œuvres de Paul Cézanne et les figures primitivistes de Pablo Picasso.
Témoignage saisissant d’un artiste au travail, cette plaque gravée est une véritable plongée au cœur des cheminements créatifs et conceptuels de Gauguin.

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ill. 2
Paul Gauguin
Étude
d’après D’où venons-nous ?
Que sommes-nous ? Où allons-nous ?
ca.
1899 - 1902
Dessin-empreinte
170 x 205 mm
collection particulière
ill. 3
Paul Gauguin
Te nave nave fenua (Terre délicieuse)
ca.
1892
Plume, encre brune, lavis d’encre brune, aquarelle et gouache sur papier vélin beige
290 x 210 mm
Grenoble, musée des Beaux-Arts
ill. 4
Isidore van Kinsbergen
Relief du temple de Borobudur à Java (772–824)
1873
Photographie
30 × 40 cm
Ancienne collection Gauguin
puis collection Fabrice Fourmanoir
Papeete, Tahiti
ill. 5
Paul Gauguin
La Marchande de mangue

Impression unique pour le recueil du Sourire offert par Gauguin à Daniel de Monfreid
Oslo, musée Kon-Tiki