Pablo Picasso (1881-1973)
Maternité
1902 – 1903
Plume et encre brune sur papier 233 x 120 mm
Provenance :
Succession de l’artiste
Collection Marina Picasso (1950)
En 1900, à la suite de sa rencontre avec Carlos Casagemas à Barcelone, Pablo Picasso se rend pour la première fois à Paris. En France, il se rapproche du cercle d’artistes avant-gardistes de Montparnasse – et découvre l’œuvre de Paul Cézanne, Edgar Degas et Henri de Toulouse-Lautrec – qui le marque profondément. Après le suicide de Casagemas en janvier 1901, l’artiste s’installe définitivement à Paris, dans le studio de son ami disparu, où il réside jusqu’en janvier 1902.
Picasso, qui traverse alors une période sombre – immortalisée dans La Mort de Casagemas (1901) – et se retrouve dans une situation précaire, explore la vie nocturne : les cafés, les théâtres, les cabarets et le cirque l’intriguent et l’inspirent. Les marginaux, décrits par Karl Marx comme une « masse désintégrée jetée ici et là, que les Français appellent la bohème », figurent dans ses œuvres à partir d’octobre 1901. Les représentations de saltimbanques, de prostituées et de vagabonds, peints dans une palette bleue- verte inspirée par Le Greco – dont il se considère le successeur – caractérisent la période bleue du peintre (1901 – 1904). La mélancolie, exprimée dans les tableaux par les tonalités froides, est évoquée dans ses dessins par la représentation de figures torturées avec des traits rapides, spontanés et puissants.
Sur notre feuille, réalisée vers 1902, Picasso trace la silhouette d’une figure assise et recroquevillée. L’ampleur des muscles, ainsi que l’accoutrement de la figure, évoquent la corporalité archétypale des saltimbanques que Picasso admire lors de ses visites au Cirque Medrano en compagnie de Maurice de Vlaminck et d’André Derain. Le saltimbanque, associé à la symbolique de l’isolement et de la souffrance humaine, incarne ainsi les problématiques sociétales du tournant du siècle – auxquelles est confrontée le peintre lui-même. La pose de la figure, repliée sur ce qu’elle tient délicatement dans les bras, évoque quant à elle l’amour maternel, thème omniprésent dans l’œuvre de Picasso. Explorant sa dimension charnelle, il souligne la tendresse des gestes protecteurs de la mère. Ici, le peintre réinterprète ce thème universel : en isolant la figure sur la feuille et en oblitérant sciemment son visage à la plume, il exprime les méandres sentimentaux inhérents à la maternité – source de joie, d’espoir tout autant que de souci et d’angoisse.
Apothéose de l’œuvre graphique de la période bleue, notre maternité annonce également la période rose : il dévoile la genèse des thèmes de la famille, des saltimbanques, et préfigure des compositions emblématiques, à l’instar de La Famille de saltimbanques. Sur notre feuille, le talent de Picasso s’exprime à l’évidence et illustre avec force l’humanité, à travers un sujet profondément social et poétique, tout autant qu’intemporel.
Plume et encre brune sur papier 233 x 120 mm
Provenance :
Succession de l’artiste
Collection Marina Picasso (1950)
En 1900, à la suite de sa rencontre avec Carlos Casagemas à Barcelone, Pablo Picasso se rend pour la première fois à Paris. En France, il se rapproche du cercle d’artistes avant-gardistes de Montparnasse – et découvre l’œuvre de Paul Cézanne, Edgar Degas et Henri de Toulouse-Lautrec – qui le marque profondément. Après le suicide de Casagemas en janvier 1901, l’artiste s’installe définitivement à Paris, dans le studio de son ami disparu, où il réside jusqu’en janvier 1902.
Picasso, qui traverse alors une période sombre – immortalisée dans La Mort de Casagemas (1901) – et se retrouve dans une situation précaire, explore la vie nocturne : les cafés, les théâtres, les cabarets et le cirque l’intriguent et l’inspirent. Les marginaux, décrits par Karl Marx comme une « masse désintégrée jetée ici et là, que les Français appellent la bohème », figurent dans ses œuvres à partir d’octobre 1901. Les représentations de saltimbanques, de prostituées et de vagabonds, peints dans une palette bleue- verte inspirée par Le Greco – dont il se considère le successeur – caractérisent la période bleue du peintre (1901 – 1904). La mélancolie, exprimée dans les tableaux par les tonalités froides, est évoquée dans ses dessins par la représentation de figures torturées avec des traits rapides, spontanés et puissants.
Sur notre feuille, réalisée vers 1902, Picasso trace la silhouette d’une figure assise et recroquevillée. L’ampleur des muscles, ainsi que l’accoutrement de la figure, évoquent la corporalité archétypale des saltimbanques que Picasso admire lors de ses visites au Cirque Medrano en compagnie de Maurice de Vlaminck et d’André Derain. Le saltimbanque, associé à la symbolique de l’isolement et de la souffrance humaine, incarne ainsi les problématiques sociétales du tournant du siècle – auxquelles est confrontée le peintre lui-même. La pose de la figure, repliée sur ce qu’elle tient délicatement dans les bras, évoque quant à elle l’amour maternel, thème omniprésent dans l’œuvre de Picasso. Explorant sa dimension charnelle, il souligne la tendresse des gestes protecteurs de la mère. Ici, le peintre réinterprète ce thème universel : en isolant la figure sur la feuille et en oblitérant sciemment son visage à la plume, il exprime les méandres sentimentaux inhérents à la maternité – source de joie, d’espoir tout autant que de souci et d’angoisse.
Apothéose de l’œuvre graphique de la période bleue, notre maternité annonce également la période rose : il dévoile la genèse des thèmes de la famille, des saltimbanques, et préfigure des compositions emblématiques, à l’instar de La Famille de saltimbanques. Sur notre feuille, le talent de Picasso s’exprime à l’évidence et illustre avec force l’humanité, à travers un sujet profondément social et poétique, tout autant qu’intemporel.
C.S.