Ambroise Duchemin
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Vendu

Anne-Louis Girodet de Roucy-Trioson

1767–1824

Portrait en pied d’Eugène de Beauharnais

Vers 1810
Pierre noire sur papier
270 x 155 mm
Inscription au verso : Girodet-Gal Beauharnais / Tableau du Luxembourg

Anne-Louis Girodet, originaire de Montargis, rejoint l’atelier de David en 1785. Il est lauréat du Prix de Rome en 1789 avec une toile représentant Joseph reconnu par ses frères. Il part pour l’Italie l’année suivante et séjourne à Rome, à Naples et à Venise, avant de rentrer définitivement à Paris en 1795. Girodet est l’auteur de nombreux tableaux clés de l’Empire (L’Apothèose des Héros français morts pour la patrie pendant la guerre de la Liberté en 1802, Scène de déluge en 1806, Les funérailles d’Atala en 1808, L’Empereur recevant les clés de Vienne en 1808, La Révolte du Caire en 1810, etc.). Il se détache progressivement de l’influence de son maître David et développe un style personnel, mêlant sensualité et raffinement intellectuel. Toujours sensible à la recherche de la beauté idéale des néoclassiques, ses œuvres sont cependant imprégnées d’une poésie qui annonce le romantisme.

Girodet est également apprécié pour ses qualités de portraitiste. Parmi ses œuvres les plus célèbres, on peut citer les portraits de Jean-Baptiste Belley en 1797, Mademoiselle de Lange en Danaé en 1799, Napoléon Bonaparte en premier consul en 1802, et François-René de Chateaubriand en 1809. Le peintre, qui bénéficie de la faveur impériale, obtient en 1812 la commande de trente-six portraits en pied de Napoléon en costume de Sacre pour les cours de justice de l’Empire.

Eugène de Beauharnais (1781–1824), modèle de notre portrait, fils du vicomte Alexandre de Beauharnais, officier de l’armée royale, et de Joséphine, est l’un des plus fidèles et talentueux subordonnés de Napoléon : il devient successivement aide de camp du général en chef de l’Armée d’Italie, sous-lieutenant au régime des hussards (1797), lieutenant (décembre 1799), chef d’escadron (juillet 1800), commandant des chasseurs à cheval de la Garde consulaire (29 messidor an VIII), colonel (octobre 1802), et enfin général de brigade commandant les Chasseurs à cheval de la Garde impériale (1804). Nous pouvons proposer, pour ce portrait d’Eugène exécuté par Girodet, une datation autour de 1805–1810. L’artiste représente le prince Eugène en pied, suivant une formule utilisée pour la famille royale et la grande aristocratie, vêtu de la grande tenue de chasseur à cheval de la Garde Impériale : il porte un dolman ainsi qu’une pelisse, cape d’apparat écarlate brodée de brandebourgs et de tresses, bordée de fourrure blanche. Un shako repose à ses pieds. Sur sa poitrine, il arbore un insigne, sans doute l’Aigle de la Légion d’Honneur obtenu en 1805. Il est alors au fait de sa prodigieuse carrière. Ses cheveux sont encore assez longs et son visage est imberbe : entre 1806, année de son mariage avec Augusta-Amélie de Wittelsbach, et 1812, il alterne, au rythme de saisons, des périodes avec et sans moustache. Le paysage montagneux à l’arrière-plan évoque l’Italie : en février 1805, il reçoit le titre de « prince Eugène de Beauharnais, archichancelier d’état » et en juin celui de « Vice-roi d’Italie ». En charge de l’administration du royaume, il ne quitte pratiquement pas ce pays entre juin 1805 et mai 1809. Girodet le dépeint dans une attitude fière et inspirée, tenant dans sa main droite un crayon, et dans sa main gauche une lettre probablement adressée à Napoléon. Instrument des volontés de son beau-père, dont il devient le fils adoptif en février 1806, Eugène rend à ce dernier des rapports précis. Sans faire allusion à un épisode particulier de la brillante carrière d’Eugène, Girodet insiste ici sur ses qualités de fin stratège et sur sa loyauté envers l’Empereur.

Les effigies les plus célèbres d’Eugène de Beauharnais sont conservées dans des collections publiques françaises : on recense notamment un buste de Joseph Chinard, un profil par Urbain Guérin, un portrait peint à mi-corps par Andréa Appiani et au moins deux modèles de portraits du Baron Gérard qui ont donné lieu à de nombreuses répliques. Bien que nous n’ayons trouvé aucune trace de commande d’un portrait d’Eugène de Beauharnais par Girodet, notre croquis révèle un projet de portrait peint, peut être jamais exécuté ou perdu. Une inscription au verso de notre feuille fait référence à un tableau conservé au Luxembourg, dont nous ne savons rien. Le silence des sources sur la genèse du portrait d’Eugène n’exclut pas la possibilité d’une initiative personnelle de Girodet, qui aurait pu devancer une commande officielle. Certains auteurs ont suggéré cette même éventualité pour le portrait d’Hortense de Beauharnais dont on connaît deux versions peintes par l’artiste en 1805 et 1813[1].

Notre dessin constitue un rare témoignage de la méthode de travail de l’artiste. En effet, peu d’études préparatoires de ce type sont parvenues jusqu’à nous. L’esquisse dessinée, première étape du processus de création d’un portrait, précède généralement l’exécution d’une ébauche peinte ou modello. Nous pouvons rapprocher notre croquis d’une étude au crayon de Girodet pour le portrait de Chateaubriand de 1808 (ill. 1) : on y retrouve le même tracé spontané, vif et assuré. Avec une surprenante rapidité d’exécution, l’artiste met en place les principaux éléments de la composition : par quelques traits et hachures plus ou moins appuyés, il définit la pose et décrit sommairement l’habit et l’arrière-plan.Quelques années plus tard, en 1816, Girodet décrit le général vendéen Charles Melchior Arthus de Bonchamps dans une attitude rigoureusement identique (ill. 2) : en retrait des combats, debout, les jambes croisées, adossé contre un rocher, Bonchamps tient dans sa main gauche un portefeuille et un crayon dans sa main droite. En reprenant la pose de notre portrait, Girodet rend hommage au caractère pacifique et réfléchi du modèle, paré des mêmes qualités que le prince Eugène.

À la chute de l’Empire, Eugène de Beauharnais est contraint d’abandonner son trône et va chercher asile chez sa belle-famille en Bavière. Il y reste jusqu’à sa mort, qui survient prématurément, en 1824. Eugène est sincèrement pleuré par sa belle-famille qu’il avait su séduire par son intelligence et la droiture de son caractère. Une inscription en allemand mentionnant les titres bavarois d’Eugène[2] au dos du montage nous offre un indice sur la destinée probable de notre dessin : l’œuvre a pu rester en possession du modèle jusqu’à son décès à Munich, ses biens ayant été par la suite répartis entre ses nombreux héritiers et dispersés à travers l’Europe.

[1] Alain Pougetoux, « La reine de Hollande », in Anne-Louis Girodet, 1767–1824, Paris, musée du Louvre, 2005–2006, catalogue d’exposition, Paris, 2005, p. 406.

[2] « Eugen de Beauharnais (1781–1824) / Herzog von Leuchtenberg / Furst von Eichstatt / von A.L. Girodet (1767–1824) / Peinture à Luxembourg ».

Biographie en rapport :
Eugène de Beauharnais : honneur & fidélité, 14 septembre 1999 – 3 janvier 2000, musée national des châteaux de Malmaison et Bois-Préau, catalogue d’exposition, Paris, 1999.
Sylvain Bellanger, Anne-Louis Girodet, 1767–1824, Paris, musée du Louvre, 2005–2006, catalogue d’exposition, Paris, 2005.

Amélie Du Closel

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